La nouvelle loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École prévoit l’évolution du socle commun.
C’est dans ce cadre que le Conseil Supérieur des Programmes a publié le 6 juin le projet d’un nouveau socle commun de compétences et de connaissances auquel a été ajouté le mot de culture à la demande de la FSU.
Ce nouveau socle est censé marquer un changement de logique par rapport au socle de 2005. Paré d’un habillage humaniste et ambitieux en termes de savoirs, il présente une vraie rupture avec le fondement utilitariste du socle 2005. Pour l’instant, il prend la forme d’un manifeste, d’une feuille de route de ce que l’élève doit savoir au terme de sa scolarité et certains objectifs peuvent nous convenir.
Les premières réactions syndicales ont montré des positions inédites : l’UNSA et le SGEN fervents défenseurs de l’idée de socle crient à la trahison trouvant le texte trop ambitieux alors que de son côté la FSU, qui a toujours défendu l’idée de culture commune, montre une certaine satisfaction. Pourtant l’absence de données sur la teneur des programmes qui vont donner corps au socle et sur les modalités d’évaluation doit nous alerter et il est probable que le vernis soit bientôt appelé à craquer.
Au-delà de la consultation des enseignants organisée par le ministère sur ce nouveau socle (dont nous n’avons pas grand-chose à attendre), la profession doit discuter et échanger sur les questions de fond d’une telle réforme pour que l’école ne soit pas livrée aux discours réactionnaires "de bon sens" qui, vu son état dégradé, rencontrent une certaine audience.
Des évolutions ?
Le nouveau socle est organisé en 5 domaines (face aux 7 piliers du socle précédent faisant référence aux compétences européennes) :
1. Les langages pour penser et communiquer
2. Les méthodes et outils pour apprendre
3. La formation de la personne et du citoyen
4. L’observation et la compréhension du monde
5. Les représentations du monde et l’activité humaine
La hiérarchie des disciplines est moins marquée qu’elle n’était dans le socle de 2005 car ces 5 domaines sont présentés comme des enjeux de formation auxquels elles participent toutes.
Ce nouveau socle s’affirmant comme « le programme général correspondant aux cycles de l’école élémentaire et du collège » est censé mettre fin à la dichotomie socle / programmes avec un socle envisagé comme un SMIC scolaire ; les programmes ayant pour fonction de détailler les domaines de formation par cycles et par disciplines.
Face à la vision réductrice des attendus scolaires contenus dans le précédent socle, celui-ci se rapproche plus de la définition d’une « culture commune » en affichant une ambition haute.
Le socle peut-il représenter un point d’appui pour la réussite des élèves les plus éloignés des codes scolaires ? Quelle réorganisation du système éducatif le socle commun permet-il, est-ce positif pour les élèves ? La Nation ne doit-elle pas garantir un « minimum culturel » à tou-te-s ? La notion même de socle commun est-elle intéressante ?
En quoi la définition d’un « minimum indispensable » est-elle un outil pour faire réussir les élèves les plus éloignés de la culture scolaire et de ses codes ? La définition d’un socle commun peut-elle donner aux enseignants les connaissances qui leur manquent pour permettre aux élèves en difficulté d’entrer dans les apprentissages ?
Une partie de ces élèves en échec le sont parce qu’ils sont confrontés à un langage, à des codes, à des attendus qu’ils ne possèdent pas. Certains ne parviennent pas à se mettre dans une posture d’élèves car ils ne comprennent pas ce que l’on attend d’eux. La formation des enseignants doit être développée de manière à ce qu’ils puissent mieux identifier ce qu’il faut transformer dans leurs pratiques, pour mieux répondre aux besoins de ces élèves. Démunis, les enseignants peuvent être tentés de resserrer leurs objectifs sur des procédures de bas niveau dans l’idée que leurs élèves maîtriseront « au moins ça ».
Pour les élèves « empêchés de penser », les travaux de Serge Boimare (1) confirment qu’il nous faut viser un véritable « nourrissage culturel » pour permettre aux élèves concernés de surmonter certains blocages. Le socle commun, même « de culture », ne représente pas l’outillage dont les enseignants ont besoin : la définition « d’indispensables » risque au contraire d’alimenter un resserrement sur des connaissances et des compétences fragmentées, qui ne permettront pas aux élèves en difficulté de sortir de l’école armés pour affronter la société qui les attend.
Quelle réorganisation du système éducatif le socle commun permet-il, est-ce positif pour les élèves ? Dès l’article 13 de la loi pour la refondation de l’école de la République, c’est le « socle commun » qui est réaffirmé, et non les programmes nationaux qui n’apparaissent qu’une vingtaine d’articles plus loin. Le socle commun devient « le principe organisateur de l’enseignement obligatoire dont l’acquisition doit être garantie à tous ».
Autour de ce socle commun se dessine un nouveau découpage du système scolaire, avec un rapprochement entre le 1er degré et le collège, le lycée étant tourné vers l’enseignement supérieur. Cette organisation permet de structurer un enseignement à deux vitesses : en effet, c’est dans le bloc de la scolarité obligatoire que le socle commun coexiste avec les programmes nationaux. On peut légitimement craindre qu’une partie des élèves soit enfermée d’emblée dans les seuls objectifs du socle commun, pendant que d’autres se préparent au deuxième bloc lycée / études supérieures avec les programmes nationaux.
Vont dans ce sens en « faisant système » : la création du conseil école-collège, qui doit notamment proposer « des projets pédagogiques communs visant à l’acquisition par les élèves du socle commun de connaissances, de compétences et de culture » ; la création du nouveau cycle 3 associant le CM1, le CM2 et la 6ème ; et également l’affirmation dans la loi que « le lycée d’enseignement général et technologique, de même que le lycée professionnel, sont les premiers segments de l’espace « Bac moins 3, Bac plus 3 » qui permettent d’articuler la transition entre l’enseignement secondaire et des études supérieures réussies ».
Cette « école du socle » (1er degré et collège), qui se termine à la fin de la scolarité obligatoire et découpe le système scolaire en deux blocs, fait de la fin du collège un palier de « tri » des élèves : le passage en seconde générale et technologique n’a d’ores et déjà plus rien d’une évidence. Si la validation du palier 3 du socle commun est visée pour tous les élèves, seuls ceux qui ont des résultats suffisants au-delà des items du socle sont autorisés à passer en seconde générale et technologique. Le socle commun risque de devenir le référentiel d’un certain nombre d’écoles et de collèges, en REP et en REP plus. Dans ces écoles et collèges, les enseignants sont incités à choisir le socle commun comme référentiel principal, de préférence aux programmes nationaux ; les élèves seront vraisemblablement évalués sur les seuls items du socle. Le socle commun, même envisagé comme contour de la « culture commune » que la nation s’engagerait à garantir à tou-te-s, ne peut que devenir le programme de ceux qui s’arrêteront à la fin de la scolarité obligatoire actuelle, ou qui seront orientés hors filière générale et technologique. En parallèle, le socle commun ne changera rien à la compétition scolaire qui est la règle pour tous les autres élèves.
La FSU ne peut ignorer de quoi le socle est l’outil, sous prétexte que ses effets se déploient surtout au collège : nous devons nous opposer clairement à l’école du socle. Le danger est trop grand d’enfermer les élèves de certains territoires dans un destin scolaire définitivement corrélé à leur origine sociale.
Le socle commun comme ciment de « l’école du socle » est d’autant moins la solution pour les élèves les moins « adaptés » à l’école que nous savons que ce sont les personnes ayant atteint un niveau de formation initiale équivalent au bac qui bénéficieront de la « formation tout au long de la vie » et qui franchiront des niveaux d’études supplémentaires au cours de leur vie professionnelle.
La Nation ne doit-elle pas garantir un « minimum culturel » à tou-te-s, la notion même de socle commun est-elle intéressante ?
Les défenseurs du socle commun invoquent le droit des élèves à un minimum culturel qu’il faudrait leur garantir. Mais comment garantir ce minimum à chacun sans viser « une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la Nation », comme le formulait le plan Langevin-Wallon ?
On nous rappelle que la notion de « minimum culturel » a été plaidée par Pierre Bourdieu (3). Relisons donc le rapport du Collège de France, remis par P. Bourdieu au Président de la République François Mitterrand le 27 mars 1985 : « Il faut tenter de repenser les principes sur lesquels peut être édifié un système d’enseignement aussi démocratique que possible en même temps qu’adapté aux exigences du présent et capable de répondre aux défis de l’avenir », nous dit ce rapport. Les auteurs rappellent la fonction essentielle impartie à la culture, « cet instrument de pensée libre », qui peut « permettre au citoyen d’aujourd’hui de se protéger contre les abus de pouvoir symbolique dont il est l’objet, ceux de la publicité, ceux de la propagande et du fanatisme politique ou religieux ».
Ainsi, Pierre Bourdieu et ses collègues ne souhaitaient pas un resserrement des contenus et des objectifs pour les élèves les plus démunis : « On ne peut tricher avec la logique réelle de l’apprentissage et l’on doit seulement assurer à tous, fût-ce au prix d’un effort spécial, un bon départ. Il s’agit de prendre toutes les mesures propres à donner aux plus démunis de bonnes conditions de formation et de contrecarrer tous les mécanismes qui conduisent à les placer dans les pires conditions ».
Leur conception du « minimum culturel commun » est la suivante : « Des programmes nationaux devraient définir le minimum culturel commun, c’est-à-dire le noyau de savoirs et de savoir-faire fondamentaux et obligatoires que tous les citoyens doivent posséder. Cette formation élémentaire ne devrait pas être conçue comme une sorte de formation achevée et terminale mais comme le point de départ d’une formation permanente ».
Les signataires de cette contribution partagent cette conception d’un « minimum culturel commun » qui se confond avec les programmes nationaux, dont la définition est l’actualisation des programmes nationaux. Ainsi, ce sont bien les programmes nationaux qui représentent les savoirs « qui sont la condition de l’acquisition de tous les autres savoirs ».
(1) Serge Boimare est psychologue et psychopédagogue, auteur de « Ces enfants empêchés de penser » et de « L’enfant et la peur d’apprendre ».
(2) Plan Langevin-Wallon est le nom donné au projet global de réforme de l’enseignement et du système éducatif français élaboré à la Libération conformément au programme de gouvernement du Conseil national de la Résistance (CNR) en date du 15 mars 1944.
(3) Pierre Bourdieu (1930-2002) est l’un des sociologues français les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle.
Article écrit à partir de contributions des courants de pensée de la FSU unité et action et école émancipée.